De la Dame à la Licorne aux Médicis, en passant par les bijoux des Gesualdo-Este
Kathy Toma, Paris, 19 Juillet 2016
J’ai toujours été fascinée par le corps et la parure du corps.
Mon expérience de la performance et du Body Art m’ont permis, autour des années 1980, d’approfondir la gestualité au travers de rites et d’identifications, de dialogues du corps avec la sculpture, avec la nature, pour y découvrir un nouvel alphabet, une nouvelle écriture. La nudité pour cela était fondamentale, essentielle car état primordial de l’être.
La fascination pour la parure, l’enveloppe du corps a été le corollaire de la nudité et c’est là que mon travail sur les robes de la Dame à La Licorne a été un véritable départ. (1982-85) La beauté de ces tapisseries m’avaient toujours fait rêver. La proposition d’une exposition collective sur le thème de « Oggetto d’Amore » m’a immédiatement fait penser à proposer ces robes-objets magiques qui pour moi contenaient un message spirituel et amoureux. Pendant que je reparcourais par le dessin le cheminement de l’artiste qui avait conçu ces merveilles, je me retrouvais au contact, au plus près de ce monde enchanté. La ceinture de bijoux que la Dame de A mon seul désir retire (ou dépose?) dans son coffret, focalise le regard…
J’ai voulu me réapproprier ces bijoux et à travers eux tout ce monde enchanté.
Le bijou est lié au conte de fées, à la magie, à l’idée du trésor alchimique, avec les significations et les pouvoirs des pierres… celles qui peuvent rendre invisible, celles qui peuvent guérir, celles qui peuvent évoquer l’être aimé ou ensorceler. Le bijou comme la parure possède un lien très étroit, physique avec le corps. Au contact avec la peau, le bijou perçoit le sang qui pulse, les battements du cœur ; il contient message et dédicaces de celui qui l’a offert. Nous sommes dans le domaine du règne du talisman au pouvoir chamanique, apotropaïque et érotique…
Mes travaux successifs sur les personnages de Pisanello m’ont permis de poursuivre cette quête d’un monde où j’étais tour à tour Princesse et personnages masculins, à la fois animus et anima d’un temps arrêté comme par enchantement. Puis ce furent les Anges des Annonciations, créatures magiques par excellence ornées de gemmes et d’escarboucles… jusqu’aux personnages du temps de Carlo Gesualdo Prince de Venosa : sa femme et ses musiciens. Le bijou devenait riche et baroque.
Ce travail sur le grand madrigaliste italien, commencé en 1987a été mené sur deux voie parallèles : la nécessité d’un travail sur les archives pour alimenter le travail de création. C’est ainsi que j’ai mené un travail véritablement archéologique sur les inventaires des bijoux de la famille Gesualdo dont il ne reste rien. C’est la volonté de faire ressurgir un monde totalement disparu qui m’a conduite à un travail de re-création de ces bijoux.
A travers ces bijoux tout un univers réapparaît. On imagine les fêtes où ils paraient leurs propriétaires, leur pouvoir de séduction, les musiques des bals en sourdine, mais aussi l’expression du pouvoir à travers les couronnes fastueuses ou certaines croix somptueuses dont les dédicaces indiquaient le haut rang de leurs appartenances ; on croit sentir encore le parfum délicat des pâtes odoriférantes qui les accompagnaient ou les remplissaient comme l’étonnante martre ou « zibellino ». Entre profane et sacré, les bijoux nous confient de singuliers messages comme cette émouvante découverte dans cet inventaire des bijoux de la Famille Gesualdo : le collier richissime d’Emmanuel, le fils du Prince de Venosa, d’or avec des rubis, des diamants et des perles et surtout 12 chevaux d’émail blanc, expression de sa passion pour les chevaux et sceau prémonitoire de sa mort d’une chute de cheval…
Après le souci de la fidélité archéologique, j’ai continué à créer des colliers renaissance avec passion. Mes créations étant venues à connaissance de Bernardo Bertolucci (2007) qui depuis longtemps travaillait à un projet de film sur Gesualdo, j’ai toujours conservé ces bijoux pour lui, dans la perspective de son film, refusant de les exposer ou de les vendre. Malheureusement pour nous tous, ce projet de film déjà bien engagé en pré-production n’a pas pu se concrétiser.
Mes bijoux ont eu un destin imprévu lorsque mon ami de longue date (plus de 25 ans) Alessandro Lai, chargé de la réalisation de tous les costumes pour le film-série télévisée de la RAI sur les Médicis : I Medici, the Masters of Florence m’a demandé de lui confier ces bijoux qu’il connaissait en partie et d’en créer d’autres, pour les faire vivre d’une nouvelle vie dans ce nouveau contexte des Médicis : une aventure exaltante…